Analyse des processus d’ablation et d’accumulations des glaciers en relation avec le climat des échelles locales à régionales
Responsable
Jean Emmanuel Sicart et Ken Takahashi
Membres et membres associés (hors LMI)
L. Maisincho, J.C. Espinoza, R. Biron, V. Favier, P. Wagnon, B. Caceres, B. Francou, C. Ramallo, E. Sylvestre, G. Poveda, J. L. Ceballos et M. Vuille.
Objectifs
Analyser les processus d’ablation et d’accumulation glaciaire.
Etudier les flux d’énergie atmosphérique : variabilités temporelle (échelles horaire à saisonnière) et spatiale (de la mesure ponctuelle aux simulations à l’échelle du bassin versant).
Les principales questions abordées sont : 1) par quels processus le climat contrôle le bilan de masse glaciaire et 2) quelles sont les principales variables climatiques qui déterminent le bilan de masse ? Pour avancer sur ces questions, il est nécessaire de suivre les deux axes de recherche complémentaires de l’étude des processus (mesure) et de la régionalisation des flux (modélisation).
Analyser la cohérence des bilans de masse à l’échelle des Andes tropicales et au-delà.
Etudier de la variabilité climatique saisonnière comme donnée explicative de la variabilité interannuelle des bilans de masse mesurés à l’échelle mensuelle.
Analyser les changements atmosphériques associés à l’ENSO (El Niño-Southern Oscillation) et leurs impacts sur les glaciers de la zone au cours du temps.
Etudier la tendance climatique à l’échelle multi-décennale comme donnée explicative du recul subi par les glaciers de la zone depuis la fin des années 1970.
Définition de scénarios de recul glaciaire pour les prochaines décennies en fonction des modèles de simulation du climat sur les hautes Andes.
Chantiers géographiques
- Bolivie (16°S), Cordillère Royale: Glacier du Zongo, Glacier du Charquini Sud.
- Pérou (9°S), Cordillère Blanche : Glacier de l’Artezonraju.
- Equateur (0°28S-1°S) : glaciers de l’Antisana.
Acquis
Les principaux résultats concernent :
- L’analyse des flux d’énergie a permis une meilleure compréhension des processus de fonte des glaciers tropicaux. L’objectif était de comprendre les processus climatiques contrôlant les variations saisonnières et interannuelles de fonte et de bilan de masse.
- Une des originalités du programme Great Ice est d’avoir procédé à des mesures du bilan d’énergie sur des années entières, faisant ressortir une saisonnalité de l’ablation plus importante que ne le suggérait a priori les faibles variations au cours de l’année des valeurs d’insolation ou de la température atmosphérique.
- Les variations d’énergie de fonte glaciaire dans les tropiques externes (Bolivie) sont essentiellement contrôlées par le rayonnement infrarouge, lié aux nuages, qui, avec les précipitations, rythment les variations saisonnières du bilan de masse.
- L’étude des processus de fonte de la neige qui s’accumule temporairement sur les moraines a montré que cette fonte est rapide essentiellement en raison d’un sol chauffé par le fort rayonnement solaire caractéristique des basses altitudes.
- Dans les tropiques internes d’Equateur, caractérisés par un climat humide aux variations saisonnières peu marquées, les études de bilans d’énergie ont mis en évidence une sublimation glaciaire plus forte qu’attendue lors d’épisodes de forts vents.
- Au Pérou, l’analyse des flux d’énergie du glacier Artezonraju s’est axée sur la quantification de la sublimation de glace en saison sèche, dans un climat sensiblement plus humide que la Bolivie.
Les principaux résultats font état :
- d’une cohérence forte existant depuis la Bolivie jusqu’à l’Equateur dans l’intensité du recul glaciaire (axe-1) et dans variabilité des bilans de masse à l’échelle infra-décennale. Les années négatives/positives ou stables coïncident (augmentation des taux d’accumulation et des taux d’ablation)
- d’une saisonnalité des bilans de masse croissant de l’équateur vers le tropique, soit de l’Equateur (tropique interne, faible saisonnalité) à la Bolivie (tropique externe, forte saisonnalité). Les périodes les plus variables sont celles où à la fois les apports radiatifs sont maxima et la variabilité des précipitations est la plus forte : début de saison des précipitations en Bolivie (septembre-décembre), mois suivant ou précédent l’équinoxe en Equateur (avril-mai et septembre).
- d’une forte influence des phases chaudes/froide du Pacifique (El Niño-La Niña) sur les bilans de masse, ceux-ci étant négatifs en phase chaude, équilibrés à positifs en phase froide. En termes de processus, cela est le résultat d’un système de couplage complexe et pas encore bien compris entre anomalies de la température superficielle du Pacifique en diverses zones, et anomalies affectant les états successifs de l’atmosphère sur les Andes (températures et humidité vers 500 hPa, phénomènes convectifs, précipitations, etc.).
- d’une relation logique entre périodes de fréquence et d’intensité élevées des phases chaudes (Pacific Decadal Oscillation positive) et les forts reculs glaciaire, et périodes de fréquence et d’intensité élevées des phases froides (PDO negative) et faibles reculs glaciaires. Dans ce contexte le « great climate shift » de 1976, qui initie une période de déglaciation accélérée, est vu à la fois comme un changement de signe de la PDO et le début d’un fort réchauffement planétaire.
- d’un signal de réchauffement important, de l’ordre de 1,3°C depuis le début du 20ème dans la masse glaciaire froide de l’Illimani (température mesurée dans le trou de forage).
Productions notables les plus récentes (deux ans)
- Favier, V., Coudrain A., Cadier, E., Francou B., Ayabaca, E., Maisincho, L., Praderio, E., Villacis M., & Wagnon, P., 2008. Evidences of underground flow on Antizana ice covered volcano, Ecuador. Hydrological Sciences-Journal des Sciences Hydrologiques, 53(1), 278-294.
- Sicart, J. E., R. Hock and D. Six (2008), Glacier melt, air temperature, and energy balance in different climates: The Bolivian Tropics, the French Alps, and northern Sweden, Journal of Geophysical Research-Atmospheres, 113 (D24113), (10.1029/2008jd010406).
- Wagnon, P., M. Lafaysse, Y. Lejeune, L. Maisincho, M. Rojas and J. P. Chazarin (2009), Understanding and modeling the physical processes that govern the melting of snow cover in a tropical mountain environment in Ecuador, Journal of Geophysical Research-Atmospheres, 114 14.
- Winkler, M., I. Juen, T. Molg, P. Wagnon, J. Gomez and G. Kaser (2009), Measured and modelled sublimation on the tropical Glaciar Artesonraju, Peru, Cryosphere, 3 (1), 21-30.
- Sicart, J. E., R. Hock, P. Ribstein, M. Litt and E. Ramirez (2011), Analysis of seasonal variations in mass balance and meltwater discharge of the Tropical Zongo Glacier by application of a distributed energy balance model, Journal of Geophysical Research, 116 (D13105), doi:10.1029/2010JD015105.
Lignes de recherche en cours et futures
Amélioration de la connaissance des processus de bilan d’énergie à l’échelle locale (l’observation) : L’objectif est une compréhension fine des processus d’ablation afin de réduire l’erreur d’estimation et d’en déduire des arguments pour la spatialisation. Trois projets prioritaires sont développés ci-dessous.
- Phase des précipitations et albédo : Il est nécessaire de mieux étudier la dynamique de la limite entre la pluie (ou grésil) et la neige en raison des effets d’albédo. Cette limite varie peu en altitude sur les glaciers tropicaux et concerne une faible surface glaciaire, mais c’est cette zone qui connaît les plus fortes fusions. Pour améliorer la connaissance des variations saisonnières du bilan de masse, il est donc nécessaire d’utiliser des mesures issues de capteurs de type ‘disdromètre’ pour mesurer la phase des précipitations et la relier aux variables météorologiques standards (température, humidité).
- Flux turbulents et dynamique de la couche limite : Les flux turbulents restent mal connus en milieu nivo-glaciaire, alors qu’ils sont importants et interviennent dans les relations entre bilan glaciaire et température ; relations au cœur des études d’impact de changement climatique sur les glaciers. Par le projet ANR TAG, des mesures fines par corrélation turbulente, associées à des profils verticaux de vent et température, ont permis de réduire les incertitudes sur les flux turbulent et ont permis une meilleure connaissance des propriétés de la basse couche limite en surface du glacier Zongo en Bolivie. Ce travail doit se poursuivre sur d’autres sites et dans d’autres configurations météorologiques (autres périodes de l’année) à travers la formation à ces techniques de mesure d’étudiants ou de chercheurs sud-américains. Il doit permettre d’interpréter les résultats en termes d’erreurs sur les méthodes plus simples et plus empiriques, et en termes de variations spatiales des flux (très mal connues). Les interactions entre les échelles locales et les plus grandes échelles liées au relief et/ou aux forçages synoptiques sont généralement sous-estimées par manque d’observation. Or l’étude de ces interactions est nécessaire pour valider les méthodes empiriques locales (ou en proposer des améliorations). Une telle étude dans le contexte particulier des basses latitudes (vents thermiques, faibles forçages synoptiques) sera très novatrice et abordera des problématiques intéressant plus généralement tous les glaciers de montagnes.
- Effets des poussières sur l’albédo et la fonte glaciaire : L’effet d’impuretés, d’origines naturelles ou liées à l’activité humaine, sur la réduction d’albédo de neige, et donc sur l’augmentation de la fonte, a été largement étudié aux hautes et moyennes latitudes, mais reste mal connu pour les glaciers tropicaux, alors que les sources de poussières sont proches des glaciers et l’accumulation de neige (donc la dilution) est assez faible aux basses latitudes. Des mesures de réflectances spectrales ont mis en évidence la diminution de l’albédo par les poussières contenues dans la neige du glacier du Zongo. Pour mieux comprendre l’influence des poussières d’origine anthropique ou naturelle sur le bilan radiatif des glaciers tropicaux, il est nécessaire de mener des campagnes de mesure, réparties dans l’année, des concentrations et propriétés des poussières dans la neige, en relation avec des mesures radiatives.
Axe 2.2 Régionalisation des bilans de masse (modélisation) : La spatialisation des bilans de masse et d’énergie des échelles du glacier au massif doit s’appuyer sur les résultats des études de processus.
- Des outils de modélisation (distribué de bilan d’énergie par exemple) ont été développés et appliqués par l’équipe sur des glaciers tropicaux afin d’analyser les causes climatiques des variations saisonnières et interannuelles du bilan de masse et du débit de fonte. En continuité, plusieurs projets peuvent être entrepris avec des modèles dont la structure (complexité versus parcimonie) doit être adaptée aux objectifs.
- En s’appuyant sur les études détaillées de processus (donc nécessitant beaucoup d’observations) sur de courtes périodes (de la saison à l’année), il est nécessaire d’étudier les variations de bilan de masse sur des périodes de temps plus longues avec moins de disponibilité en données. Après avoir identifié les variables climatiques clés du bilan de masse (si elles existent), les études de processus doivent proposer (si c’est possible) des modèles robustes. Aux basses latitudes, un tel modèle doit se baser sur les nuages et les précipitations.
- Ces outils de modélisation sont utiles pour des études paléoclimatiques (reconstitutions des climats du passé à partir des anciennes extensions glaciaires, interactions avec le thème 1) ou pour des études d’impacts des changements climatiques futurs sur les glaciers. Pour être crédibles, de telles études doivent s’appuyer sur des études d’incertitudes. Pour des modèles de fusion glaciaire dont les paramètres sont nombreux et très interdépendants, une étude rigoureuse de sensibilité aux incertitudes des paramètres et des variables d’entrée représente une tâche complexe qui reste peu explorée par les glaciologues.